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Louis-Jacques Suignard

Le cheval qui rapporta la lumière, Conte du Solstice d'hiver

Conte du Solstice,

Le cheval qui rapporta la lumière


Et merde !

Mon cheval Morvarc'h s'est encore enfui cette nuit. J'ai vu les fils du paotr-saout à terre, les piquets renversés. Je m'approche du box. Je regarde l'heure, si je ne suis pas parti dans cinq minutes je serai en retard au travail. Merde, je déteste cette sensation. Quand quelque chose cloche, et que tout va de travers ensuite.

Il n'est pas dans son box. Je m'arrête pour scruter le fond de la pâture. Rien. J'entends son souffle. Je fais le tour de l'écurie. Le voilà. Je le trouve debout et fumant, rajoutant son haleine puissante à la brume matinale en suspension. Ses narines palpitent.

"Mon cheval je suis soulagé de te trouver mais sache que je suis fâché contre toi." La tête de Morvarc'h est dirigée vers le nord-ouest, ses oreilles fichées vers l'arrière. Tendu, reprenant son souffle. Lui aussi est partagé. Sa loyauté envers moi oubliée, piétinée toute la nuit par le besoin d'accomplir son geste, de retrouver sa liberté.

"Je te vois, mon cheval, je sais ce que tu penses. Je sais que tu analyses mon comportement. Tu sais ce que je ressens. Soulagement, colère, frustration, urgence. Tes oreilles bougent enfin, tu m'écoutes. Mais tu es encore plein de tes folies nocturnes. Ton flanc luit de sueur. Tes narines gouttent. Ton oeil perce tous les plans du visible et plus loin encore. Impossible de te calmer. Tu es l'énergie pure. Si je te touche maintenant, j'explose.

Je t'inspecte. Pas de nouvelle blessure. C'est déjà ça. Pas de trace de harnais, ni de filet, ni de limon. Tu t'es échappé seul. Tes sabots confirment ce que je pense. Humides et pailletés de sable très fin et très collant. A tes boulets, de petites algues sont restées collées. Tu as dû chevaucher les vagues toute la nuit. Tu as galopé à leur crête écumante. Je ne saurai jamais si ta course fut folle, ou si tu calculas sciemment quand sauter d'une écume à l'autre, sur sa couleur nocturne, sur son échine, à peine formée qu'elle se fondit à nouveau dans la masse.

Ce que je sens, que je vois et dont je peux témoigner, c'est du sentiment océanique qui émande de toi en ce moment. Ta fougue à peine contenue. A cet instant si je te touche, tu exploses. Je te vois qui brûles comme si tu portais trois soleils dans ton ventre. Tu me dis que quelque chose est sublime. Que ce quelque chose vient d'arriver pendant cette nuit, la plus longue de l'année. Tu voudrais le crier au monde, sauvé encore une fois, le crier par ton dos cambré, tes jambes aux aplombs triomphants, ton cou et ses crins presque à la verticale du garrot. Veines gonflées, Souffle de forge.

Profite mon ami. Jubile s'il te plaît et retrouve le calme quand tu seras prêt. Reçois mon remerciement pour ton exploit. Et mes excuses d'avoir douté, d'avoir eu peur que tu fasses une bêtise en route ou que tu te sois blessé. Ce n'est pas de tout repos de vivre à tes côtés, marc'h antier, enfant terrible de mon imagination mais c'est une grande joie et un grand honneur.


Kawan, Solstice d'hiver, 22 12 2021



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